Née au Cap-Vert sous colonisation, élevée en France après un drame familial, Élisabeth Moreno a construit un parcours d’exception entre monde de l’entreprise, responsabilité politique et engagement sociétal. Avocate de formation, cheffe d’entreprise, ex-ministre et aujourd’hui investisseuse à impact, elle revient sur une vie de combats pour l’égalité, la diversité et l’émancipation économique, avec une vision claire de l’Afrique de demain : résolument souveraine, numérique et solidaire.

De l’exil à la République, le parcours d’une femme debout
Une enfance arrachée, une volonté forgée
Née au Cap-Vert en période coloniale, Élisabeth Moreno grandit entre les îles, le Portugal et la France. À seulement 7 ans, un drame familial bouleverse sa vie : sa petite sœur est gravement brûlée dans un incendie, contraignant la famille à fuir.
“Nous sommes arrivés en France sans un mot de français, avec une sœur entre la vie et la mort. Très tôt, j’ai compris que je n’aurais pas droit à l’erreur.”
Exil, douleur, silence. Mais aussi espérance. Issue d’un foyer modeste — des parents illettrés — elle découvre très tôt qu’aucune réussite ne lui sera donnée. Un proche lui livre une vérité décisive :
“Pour une petite fille noire comme toi, l’éducation sera ton seul passeport. Il va falloir que tu arraches tout avec les dents.”
Le droit, comme réponse à l’injustice
Dès ses études, Élisabeth se tourne vers le droit, animée par un sentiment d’urgence : faire reculer les injustices subies, les humiliations ordinaires, les silences imposés à ceux qui ne savent pas se défendre.
“Je voulais devenir avocate pour défendre ceux qu’on n’entend pas.”
Mais rapidement, elle bifurque vers le droit des affaires, qu’elle découvre en stage et qu’elle trouve fascinant. À 20 ans, elle fonde sa première entreprise.
“Créer m’a permis de reprendre le pouvoir sur mon destin. Parce que personne ne m’a donné les postes à responsabilité dont je rêvais, j’ai décidé de les inventer.”
Du monde des affaires à l’action publique
Son parcours professionnel l’amène à diriger plusieurs grands groupes dans la tech. Elle devient PDG Afrique de Hewlett-Packard, sans être ingénieure.
“Je ne suis ni ingénieure ni scientifique. Je suis juste curieuse, passionnée… et travailleuse, accessoirement.”
En 2020, elle entre au gouvernement français comme ministre déléguée à l’Égalité femmes-hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances. Elle y retrouve les combats qui ont jalonné sa vie.
“Rien n’est facile. Mais c’est encore plus difficile quand vous êtes une femme noire, issue d’un milieu modeste. Nous sommes au carrefour de toutes les discriminations.”
Durant son mandat, elle met en œuvre :
- l’extension du congé paternité ;
- la loi Rixain, contre les inégalités salariales femmes-hommes ;
- un guichet national contre les discriminations, en lien avec le Défenseur des droits.
Et après ? Ring Africa, numérique et transformation
Après la politique, Élisabeth Moreno poursuit son engagement dans l’action concrète. Elle rejoint le fonds d’investissement à impact Ring Capital, avec une mission claire : lancer Ring Africa pour soutenir les PME d’Afrique francophone qui proposent des solutions innovantes.
“On ne peut pas continuer à ignorer des entrepreneurs brillants simplement parce qu’ils sont en Afrique francophone. L’avenir du continent passe aussi par l’investissement privé.”
Elle accompagne ainsi des entreprises comme Jolly, une start-up qui utilise l’intelligence artificielle pour lutter contre le gaspillage alimentaire en Afrique de l’Ouest.
Fondation Femmes@Numérique : refuser l’exclusion technologique
Autre combat central : que les femmes ne soient pas les grandes absentes de la révolution numérique. À travers la Fondation Femmes@Numérique, qu’elle préside, Élisabeth agit à trois niveaux :
- Mettre en lumière des rôles modèles féminins dans la tech
- Favoriser les stages et visites d’entreprises dès le collège
- Accompagner les femmes en reconversion professionnelle
“Aujourd’hui, 70 % des produits numériques sont conçus sans les femmes. Ça peut être catastrophique. Car si on programme sans elles, on programme contre elles.”
Une vision pour l’Afrique : autonome, juste et inventive
Convaincue que l’Afrique est le continent du XXIe siècle, elle appelle à un développement enraciné et souverain :
“Notre continent ne doit pas copier l’Occident. Il doit inventer son propre modèle, plus respectueux de la nature, des communautés, de la solidarité.”
Elle rêve d’une Afrique qui exploite ses propres ressources (solaires, agricoles, humaines), sans les aliéner. D’un continent qui n’a pas peur du numérique, qui forme ses jeunes, qui valorise ses entrepreneures et qui raconte ses propres récits.
Le dernier mot d’une femme debout
“J’ai connu l’exil, la pauvreté, les humiliations. Mais rien ne justifie qu’on vous dépossède de votre destinée. Si j’ai un message à transmettre, c’est celui-ci : personne ne peut définir votre valeur à votre place.”