Ancienne ministre, entrepreneure engagée et militante infatigable pour l’égalité, Élisabeth Moreno revient sur un parcours hors du commun, façonné par l’adversité et porté par une détermination sans faille. De son enfance au Cap-Vert à ses combats politiques et économiques pour l’inclusion et la justice sociale, elle partage une vision inspirante de l’avenir — en particulier pour les femmes, la jeunesse et le continent africain.

Entretien avec Élisabeth Moreno : Itinéraire d’une femme engagée
Cathy Mintsa : Bonjour Madame Élisabeth Moreno. Nous sommes ravis de vous accueillir aujourd’hui. Merci d’avoir accepté notre invitation.
Élisabeth Moreno : Merci à vous, Cathy Mintsa. C’est un plaisir sincère d’être ici avec vous.
Cathy Mintsa : Commençons par le début : pouvez-vous nous raconter votre parcours personnel ?
Elisabeth Moreno : Je suis née au Cap-Vert, un petit archipel au large du Sénégal. Mes parents étaient illettrés mais incroyablement dignes et travailleurs. Ma vie a basculée à l’âge de six ans, lorsque ma sœur a été gravement brûlée. Faute d’infrastructures médicales, nous avons dû quitter notre pays, d’abord pour le Portugal, puis pour la France. Nous ne parlions pas un mot de français, nous étions déracinés et perdus. Mais c’est aussi à partir de ce traumatisme que ma détermination est née.
Mon enfance a été marquée par l’adversité. Très jeune, j’ai compris que rien ne me serait donné et que seule l’éducation me permettrait de m’en sortir. J’ai donc embrassé les études avec férocité, sans modèle, mais avec un objectif clair : me construire une vie digne et utile. J’ai commencé par le droit, pour comprendre et combattre l’injustice. C’est lors d’un stage que j’ai découvert le droit des affaires, et ce fut une révélation.

Cathy Mintsa : Votre parcours est exceptionnel. Quels ont été les moments charnières qui ont forgé votre engagement ?
Elisabeth Moreno : Le premier, c’est la pauvreté. J’ai créé ma première entreprise à 20 ans parce que je voulais aider ma famille. J’avais compris que l’autonomie financière est la première des libertés. Mais en tant que jeune femme noire, on ne me proposait jamais de postes à responsabilité. Alors j’ai suivi le conseil de Toni Morrison : « si le livre que tu veux lire n’existe pas encore, écris-le ». J’ai créé mon propre chemin.
Ensuite, bien sûr, mon passage au gouvernement a été un tournant. J’y ai porté des combats qui me sont chers : l’égalité entre les femmes et les hommes, la lutte contre toutes les formes de discrimination, la promotion de la diversité. J’ai voulu montrer qu’on pouvait transformer la réalité par des politiques publiques courageuses.
Cathy Mintsa : Vous parlez de politiques concrètes. Pouvez-vous nous donner des exemples de mesures que vous avez portées ?
Elisabeth Moreno : Trois exemples me tiennent particulièrement à cœur. D’abord, l’extension du congé paternité. Un enfant, ce n’est pas l’affaire d’une mère seule. Il était temps de reconnaître le rôle des pères dès les premiers jours.
Ensuite, la loi pour l’égalité professionnelle. Est-ce normal qu’en France, en 2021, une femme gagne jusqu’à 20 % de moins qu’un homme à compétence égale ? Certainement pas. Nous avons travaillé pour briser les plafonds de verre et obliger les entreprises à rendre des comptes.
Enfin, j’ai créé une structure d’accueil pour les victimes de discrimination. Trop de personnes restent seules, en silence, par honte. J’ai voulu leur offrir un lieu d’écoute et de recours.
Cathy Mintsa : Vous portez aussi un projet très ambitieux avec Ring Africa. De quoi s’agit-il ?
Elisabeth Moreno : Ring Africa est un fonds d’investissement à impact, dédié à l’Afrique francophone. L’objectif est simple : accompagner les PME et les start-ups qui répondent à des enjeux sociaux et environnementaux majeurs. La majorité des financements aujourd’hui vont vers les pays anglophones. Pourtant, en Afrique de l’Ouest, en Afrique centrale, foisonnent des entrepreneurs brillants, mais sous-financés.
Notre ambition est de soutenir l’économie réelle, d’aider les femmes à sortir de l’informel, et de catalyser des projets qui transforment concrètement la société. Parce que tant que l’on ne créera pas les conditions de la réussite sur place, la jeunesse africaine continuera à risquer sa vie pour fuir.
Cathy Mintsa : Et le numérique ? Vous y œuvrez aussi activement.
Elisabeth Moreno : Le numérique est un outil de transformation puissant. J’ai accepté la présidence de la Fondation Femmes@Numérique car je suis convaincue que nous devons embarquer davantage de filles dans ces métiers d’avenir. Seulement 30% des professionnels du numérique sont des femmes, c’est inacceptable. Nous agissons sur trois axes : valoriser des rôle-modèles, former les jeunes, et accompagner les reconversions. L’IA, la data, les outils digitaux sont des tremplins, pas des menaces, à condition d’y accéder.
Cathy Mintsa : Enfin, quelle est votre vision de l’Afrique à l’horizon 2035 ?
Elisabeth Moreno : L’Afrique est le continent de l’avenir. Elle concentre une jeunesse incroyable, des ressources naturelles colossales, un potentiel agricole, énergétique, culturel et humain immense. Mais elle ne peut pas reproduire le modèle occidental, qui a mené à la surconsommation et à la destruction des écosystèmes. L’Afrique doit inventer son propre modèle de développement, durable, solidaire, connecté à ses valeurs profondes. J’ai confiance. Les solutions viendront du continent, si on investit dans sa jeunesse, dans les femmes, dans l’éducation, dans l’innovation locale.
Au fil de cet échange riche et vibrant, Élisabeth Moreno nous rappelle qu’aucun destin n’est figé, et que chaque obstacle peut devenir un levier de transformation. Femme d’action et de convictions, elle incarne une voix forte, lucide et profondément humaniste, qui invite chacun à s’engager, à oser et à bâtir un avenir plus juste. Que ce soit dans les arènes politiques, les sphères économiques ou les cercles éducatifs, elle œuvre sans relâche pour que l’égalité, la diversité et la dignité humaine ne soient plus des promesses, mais des réalités concrètes. Son parcours, jalonné de résilience et d’engagement, inspire une certitude : changer le monde est possible, à condition de ne jamais baisser les bras.