Longtemps moteur d’une diplomatie de développement, la présence chinoise en Afrique évolue désormais vers une stratégie plus globale, combinant influence économique, opérations militaires et campagnes informationnelles. Face à elle, une Russie toujours plus active, mais souvent déstabilisante. En toile de fond, l’inquiétude croissante des États-Unis, désireux de préserver leurs intérêts sur un continent devenu géopolitiquement central.
Depuis une décennie, l’Afrique est devenue l’un des principaux terrains d’expression de la rivalité sino-russe face aux puissances occidentales. Loin de se cantonner à la coopération économique, Pékin et Moscou adaptent désormais leurs stratégies pour gagner du terrain politique, médiatique et sécuritaire.
L’influence économique chinoise : une présence écrasante
La Chine reste le premier partenaire commercial de l’Afrique depuis 2009. En 2023, les échanges sino-africains ont atteint 282 milliards de dollars, selon le ministère chinois du Commerce. Pékin détient aujourd’hui plus de 21 % des dettes extérieures du continent, souvent concentrées dans des projets d’infrastructure (ports, chemins de fer, zones industrielles).

Mais depuis 2020, la Chine diversifie ses leviers d’influence :
- Investissements dans les télécoms stratégiques (Huawei, ZTE)
- Déploiement de bases logistiques militaires, comme à Djibouti
- Financement de centres culturels Confucius pour peser dans la bataille des récits
- Utilisation croissante des réseaux sociaux et médias partenaires africains pour promouvoir la « voie chinoise »
« L’Afrique est devenue un espace où la Chine défend une vision alternative de l’ordre mondial, basée sur la souveraineté économique et la non-ingérence politique. » – expert à l’Institute for Security Studies
La stratégie russe : influence politique et sécurité privée
Si la Russie n’a ni la puissance économique de la Chine, ni la régularité diplomatique des pays du G7, elle déploie en Afrique une stratégie asymétrique, agile et volontiers provocatrice. À travers le Groupe Wagner ou ses successeurs, Moscou sécurise des régimes fragiles (Mali, Centrafrique, Burkina Faso) en échange d’un accès privilégié à des ressources minières (or, uranium, diamants).
En parallèle, la Russie mène des campagnes numériques, souvent via des médias alternatifs ou des réseaux sociaux amplifiés par des relais locaux. Son objectif ? Fragiliser les alliances occidentales et se présenter comme une puissance libératrice face au « néocolonialisme ».
En 2024, 11 pays africains avaient signé des accords de défense ou de coopération sécuritaire avec Moscou, contre 3 en 2015.
Les États-Unis sur la défensive
Washington observe cette montée en puissance avec inquiétude. En avril 2023, un rapport du Pentagone mettait en garde contre la « militarisation rampante de l’influence chinoise en Afrique » et les « activités russes visant à miner la gouvernance démocratique ».
Les États-Unis investissent encore 7 milliards de dollars par an en « aide au développement » en Afrique, mais peinent à rivaliser en termes de visibilité, de rapidité d’exécution, et de discours stratégique unifié.
Le Sommet États-Unis–Afrique de 2022 visait à rehausser la coopération économique et sécuritaire, mais les effets concrets tardent à se faire sentir sur le terrain.

Quels enjeux pour l’Afrique centrale et la zone CEMAC ?
La zone CEMAC (Cameroun, Congo, Gabon, RCA, Tchad, Guinée équatoriale) est désormais au cœur de ces dynamiques géopolitiques.
- La RCA, très alignée avec Moscou, est devenue un laboratoire d’influence russe sécuritaire.
- Le Cameroun et le Gabon, historiquement proches de l’Occident, sont sous pression croissante.
- La Chine est présente dans tous les grands projets d’infrastructure (ports de Kribi, aéroports, barrages, télécoms, routes).
- Les opérations informationnelles, relayées par les plateformes numériques, touchent une jeunesse de plus en plus méfiante envers les anciennes puissances coloniales.
« La compétition entre grandes puissances se joue désormais aussi sur TikTok, dans les récits et les symboles. » – chercheur en relations internationales à Libreville
Vers une recomposition multipolaire
Pour les pays africains, cette compétition offre des marges de manœuvre mais aussi des risques accrus de dépendance, d’instabilité ou d’ingérence.
Les défis sont clairs :
- Préserver la souveraineté stratégique, en évitant l’alignement systématique
- Renforcer les capacités institutionnelles face à l’influence extérieure
- Maîtriser les outils numériques dans la guerre de l’information
- Diversifier les partenariats économiques et technologiques
Dans un monde en recomposition rapide, l’Afrique ne peut plus être un simple terrain d’affrontement. Elle doit être un acteur stratégique à part entière, capable d’imposer ses priorités, ses récits et ses conditions.